L’occulte chez les Gaulois.

Les Druides furent les véritables maîtres de la Gaule jusqu’à l’époque de l’invasion romaine et l’Occulte entrait, pour la plus grande part, dans leurs moyens de domination.

Deux druides sur le bas-relief d’Autun. (Source Wikipedia)

Ils procédaient directement des Mages de l’antique Chaldée; comme eux, ils formaient une société à part dans la société et jouissaient d’une autorité incontestée, tant à cause des sciences dont ils avaient conservé la tradition et le monopole, au milieu de l’ignorance générale; que par le caractère mystérieux et majestueux qu’ils avaient su donner à leur fédération sacrée.

Même on peut affirmer que les Druides eurent, en Gaule, un pouvoir plus étendu que les Mages, en Asie : ceux-ci, à part de rares exceptions, comme Sopâtre qui s’empara du sceptre en Egypte, ne disposèrent que d’Une influence morale très grande, tandis que les Druides furent à la fois législateurs et justiciers.

Quiconque ne se soumettait point aux décisions qu’ils avaient prises dans leurs convens périodiques, encourait mie peine terrible analogue à l’excommunication dont le sacerdoce catholique usa et abusa plus tard, contre les plus puissants eux-mêmes, peine morale dont on se rit de nos jours, mais qui, aux époques de foi vive, entraînait avec elle toutes les misères et toutes les désespérances.

Leur caste était nombreuse : celte croyance avait pris cours dans le vulgaire « que plus il y aurait de Druides et plus ils seraient honorés, plus aussi le peuple gaulois deviendrait puissant et heureux. ». Ce ne fut point toujours l’avis de la caste noble, celle des guerriers, et il en résulta des heurts épouvantables qui ensanglantaient le pays.

Druides et Brenns luttaient d’influence, les armes à la main, et ceux-là entraînaient dans leurs disputes, pour les soutenir, la classe des laboureurs et des artisans formant la partie la plus nombreuse de la nation, mais aussi la plus ignorante, la plus besoigneuse, la plus éparse et, comme telle, la plus malléable, la plus superstitieuse.

Donc, d’un côté, le sacerdoce et le peuple, de l’autre, les Brenns et leurs solduriers nous représentent la grande division politique qui, engendrant et perpétuant les guerres intestines, fit d’Un peuple, héroïque entre tous, un peuple prédestiné à devenir la proie des conquérants. Pour les Gaulois, groupés en familles, les familles en clans et les clans en tribus rivales, l’idée d’une Patrie unifiée, compacte, n’existait pas ou n’étaittjt pas suffisamment comprise: tout se résumait en questions personnelles, immédiates, et se traduisait, après la lutte, par le terrible Vas victis. « Malheur aux vaincus!… »

Pour les Romains, au contraire, quelles que fussent d’autre part les haines entre castes, le mot de « Patrie » était d’une éloquence irrésistible et, dans les circonstances critiques, il opérait invinciblement le ralliement de toutes les forces nationales. Voilà pourquoi une seule ville, Rome, en arriva à dominer le monde connu, tandis que la Gaule, admirable d’énergie, frémissante d’enthousiasme belliqueux, descendit au rang de colonie romaine.

Grande leçon à méditer dans tous les temps, et à notre époque surtout, où, chez nous, dans notre France, terre celtique montée à l’unité, des prédicants maudits et enragés soufflent la discorde, sans se soucier de ce que deviendrait la Patrie, si leurs systèmes de proscriptions, d’exclusions, d’excommunications religieuses ou profanes venaient jamais à prévaloir!… Heureusement il n’en sera pas ainsi : nous saurons nous détourner à temps des théories entées sur la violence, basées sur le principe des représailles. Nous chercherons à résoudre la question du bien-être pour tous, non en ruinant ceux qui possèdent, non en détruisant le « bourgeoisisme », comme le proposent les fauteurs du désordre, pseudo-amis du prolétaire, mais en faisant monter ce dernier au rang de bourgeois, en lui donnant la possibilité d’acquérir, c’est-à-dire de gagner et d’économiser sur son gain…

Une fois arrivés en possession d’État, après qu’ils eurent constitué par tout le pays, et se reliant entre eux dans l’intérêt commun de leur influence, des groupes sacerdotaux que régentait, en dernier ressort, un chef suprême élu, les Druides se recrutèrent sur eux-mêmes, dans leurs propres familles, par voie de sélection. Leurs élèves passaient vingt années et plus dans le recueillement et l’étude avant d’être admis à l’exercice public du ministère sacré.

Ils avaient des collèges fermés aux autres castes, où l’on apprenait la médecine, la musique, la législation, la géographie, l’astronomie, la physique, l’astrologie et tout le symbolisme hiératique ainsi que les pratiques de la kabbale : de la kabbale surtout, car elle était alors intimement mélangée aux sciences exactes ou spéculatives..On y enseignait aussi l’unité et l’immutabilité d’un Dieu créateur et conservateur, et on donnait pour sanction ultime à la morale la perspective de récompenses ou de punitions dans une vie future, à laquelle succéderaient d’autres vies, toutes solidaires de la précédente, et destinées à faire monter l’homme jusqu’à la perfection. Mais c’était là un enseignement supérieur pour les seuls candidats au sacerdoce. A côté du dogme d’un Dieu unique, et de leur métempsycose ascendante, les Druides avaient formulé, pour le reste de la nation, guerriers, laboureurs ou artisans, une théodicée plus accessible, laquelle comprenait, outre le Dieu suprême, la déification particulière de chacun de ses attributs et une foule de génies intermédiaires entre la terre et le Ciel.

Ainsi Teutat devint le Dieu de la guerre et des voyageurs, Ogmios celui de l’éloquence, Tarann gouverna le tonnerre et le feu, et Mitra présida aux mystères de la nuit. Ainsi, encore, des fées invisibles habitèrent les eaux, lés montagnes et les forêts ; des gaurics ou farfadets errèrent autour des tombeaux et chaque Gaulois eut en propre, spécialement attachés à sa personne, des êtres surnaturels, le sollicitant, qui au bien et d’autres au mal; etc..

Il restait à l’homme, au milieu des suggestions de toute espèce, son libre arbitre pour se déterminer par iui-même : de là, la responsabilité morale de ses actes. Mais la tâche pouvait grandement luiêtre facilitée par les pratiques du culte et l’assistance de ses ministres : de là, l’influence prépondérante et continuelle des Druides, appelés mystiquement les « hommes du chêne », parce qu’ils avaient leurs sanctuaires au fond des forêts où cet arbre abondait et dans la profondeur desquelles ils faisaient leurs incantations et sacrifiaient à Tcutat.

Les Druides se divisaient en trois ordres principaux: 1° les dépositaires des dogmes et de la science, ou Druides proprement dits ; 2° les Bardes, poètes chargés de célébrer les actions héroïques; 3° les Eubages, qui s’occupaient de la partie matérielle du culte et avaient dans leurs attributions le ministère des oracles et des augures. On trouvait aussi, dans ce troisième.ordre, des prêtresses dont l’influence devint telle sur les masses que, en certaines circonstances, elle égala et même surpassa celle du chef suprême de toute la corporation. Et celte influence, comme celle des Pythonisses et des Sibylles, s’exerçait par des pratiques de la magie, ou par les facultés spéciales d’une médiumnité développée.

Généralement les prêtresses druidiques issues de la caste sacerdotale et demeuraient soumises, en la hiérarchie des hiérophantes, appelés ici « Eubages » ; pourtant il est des’ cas où l’on eh vit s’élever au premier rang, après s’être improvisées prophétesses par elles-mêmes et en dehors de toute sujétion apparente.

Les Vierges de l’île de Sain, à qui on attribuait le pouvoir de déchaîner et de dominer les vents et la mer, appartenaient, nous le présumons, à cette classe des Indépendantes du Voyantisme, dont Velléda, de légendaire et patriotique mémoire, nous offre le type le plus accompli. Et, bien souvent, les Druides récriminèrent contre elles, comme Ezéchiel, le prophète de Jéhovah, ou comme les prêtres du Polythéisme avaient récriminé, en leur temps, par dépit de la concurrence qu’elles faisaient à leurs sanctuaires officiels.

Nous allons citer, pour exemple, l’une de ces gestations irrégulières de prophétesses et démontrer ainsi la puissance de l’Occulte sur l’esprit de nos ancêtres.  C’est la traduction d’un récit bardique qui nous vient d’un cloarek breton et qui a pour intitulé:

LA VENGEANCE D’ELMIR.

« Les dernières rougeurs du soleil couchant s’effaçaient à l’horizon, le barde Bleid gravit la colline et se rendit au menhir de Sirwack.

» Elmir, la prophétesse vénérée et redoutée entre toutes, l’y avait précédé.

— » Barde, lui dit-elle, merci, que tu sois venu!… J’ai à te révéler le motif secret d’une terrible vengeance qui s’apprête : la haine comme l’amour à besoin d’expansion. Demain, quand Belenn, le dieu du jour, reparaîtra à l’orient, tu pourras jeter mon histoire à tous les échos de la vallée; mais, jusque-là, promets-moi de garder, sur tout ce que je vais t’apprendre, un silence absolu.

— » Par l’étendard de nos guerriers, quoi que tu me dises, je le tairai jusqu’à l’heure marquée, prêtesse, je te le jure.

—-» Écoute :
» Il y avait eu, dans le pays des Atrébates, le sacrifice de trois prisonniers pour racheter la vie d’un tiern, et l’eubage Drataë achevait les cérémonies du rit, lorsqu’un étranger se présenta à lui et lui demanda l’hospitalité.

— » Ami ou ennemi, tu auras l’abri de mon toit; allons, répondit l’eubage.

— » Qu’Esus te le rende, à toi et aux tiens ! » fit l’étranger en entrant dans la demeure hospitalière. Puis, il ajouta, pour complaire à son hôte: « Aujourd’hui la fatigue m’accable et j’ai hâte de me reposer. Mais avant mon départ, tu sauras qui je suis, où je vais… »

» Deux jours après, l’eubage donna un festin à tous ceux de sa famille en l’honneur de l’étranger et celui-ci raconta ses aventures.

» Il commença par louer l’hospitalité généreuse qu’il avait reçue et il promit d’en user quelques jours encore, selon qu’on l’y conviait. Ensuite, il dit sa naissance illustre, les combats où il s’était signalé, les guerriers redoutables qu’il avait provoqués et vaincus ; il énuméra les richesses qu’une défaite récente lui avait enlevées et il fit part; de ses espérances et de son ambition pour l’avenir… Ce à quoi tous les convives prirent grand intérêt ; nul, pourtant, dans la même proportion qu’Isa, la soeur unique de l’eubage.

» L’étranger était jeune et beau; pendant son récit, il portait souvent son regard sur elle et, l’instant d’avant le festin, il lui avait murmuré ces mots à la dérobée: «Je t’aime!… car lu es belle |… belle, comme en sa floraison, la branchede l’églantier !»

» C’était une douce exclamation à laquelle la jeune vierge se laissa prendre et, bientôt, hélas ! le repentir et le désespoir s’en suivirent pour elle. L’étranger avait de tendres paroles, mais sa bouche mentait, et son coeur était perfide: violant la foi promise, sans demander la main d’Isa, sans avoir pitié de ses larmes, après l’avoir séduite, il la délaissa!…

» De même que l’ombra suit le corps, et aussi longtemps que ses forces le lui permirent, le matin qu’il partit, Isa suivit son amant en implorant le nom d’épouse. Vaines supplications l II demeura impitoyable, arguant de raisons spécieuses et même offensantes ; une à une, il arracha, par l’ironie, l’injure, là menace, chaque feuille, chaque fleur à la branche de l’églantier et, finalement, Isa, accablée d’amertumes, se jeta dans le fleuve des Ambianes.

» Le séducteur se crut alors, pour toujours, débarrassé de sa victime et il se réjouit de la rapidité avec laquelle le courant l’entraîna loin de sa vue; mais Teutat, le dieu des voyageurs, savait les serments oubliés, les lois de l’hospitalité transgressées, et il sauva la victime pour le châtiment du coupable : l’amour ardent qu’Isa éprouvait pour son infidèle amant s’anéantit seul dans le fleuve.

» Quand elle revint à la vie, elle n’eut plus au coeur qu’un seul sentiment, celui de la vengeance. Et c’est pour le satisfaire, comme aussi pour se soustraire à la honte d’un déshonneur public, qu’Isa ne retourna plus jamais dans la demeure de l’eubage son frère.

» Au lieu d’aller rejoindre ses compagnes, qui eussent ri, et pleuré peut-être, sur sa mésaventure, elle préféra quitter la société des humains et s’enfoncer dans les plus sombres forêts. Elle alla demander aux cavernes leur silence, et aux fauves qui les hantent, leur férocité ; elle se mit en communication avec les pratiquants de l’Occulte, avec les Psylles qui apprivoisent les vipères, distillent les poisons et requièrent l’assis’àhce des Korigans; elle médita de longues heures, assise, la nuit, en compagnie des évocatrices aux champs des tombeaux, où luciolent Gaurics et Farfadets; elle s’initia aux secrets des nombres fatidiques ; puis, ceignant le bandeau étoile, elle parcourut tout le nord de la Gaélique, et arriva en ce pays où elle se proclama l’envoyée d’Esus.

» Tu sais, barde, la puissance des neuf Vierges du Penmarck : couronnées de verveine et armées du carquois d’or plein de flèches magiques, elles déchaînent, à leur gré, les éléments et terrifient ceux qui vont les consulter; tu sais aussi l’autorité du chef suprême des Druides : il n’a qu’à lancer l’anathème contre le Brenn qui dispose, en maître, de la vie de nombreux solduriers, pour que dignités et force guerrière se résolvent, tout d’un coup, en infamie et faiblesse incurables; tu sais, enfin, le prestige qu’exerce, sur la foule, le mystérieux agrégat des sciences naturelles et hiératiques, base de l’enseignement donné au plus dignes dans ta caste; eh! bien, cette puissance, cette autorité, ce prestige, Isa en dispose actuellement et depuis longtemps déjà.

» Elle aurait donc pu, d’une seule parole, d’un signe, anéantir son séducteur le jour où elle le retrouva chef de clan, riche et glorieux; mais sa haine avait grandi en raison de toutes les souffrances morales et physiques qu’elle avait subies avant de monter au rang de prophétesse et elle répudia, comme moyen d’assouvir sa haine, la mort prompte qui délivre aussitôt. A celui qui a flétri sa jeunesse, se prépare une vieillesse tissue d’angoisses et de remords.
Cette nuit, et pour toujours, le front de Torcinoë se courbera sous le poids d’une douleur immense…!

» Car, barde, l’hôte indigne, le séducteur infâme, le parjure, se nomme Torcinoë, celui-là même dont tu hantes la maison et dont tu consacras la valeur par des chants héroïques. Sa victime, la suppliante Isa autrefois, est devenue aujourd’hui la redoutable Elmir qui te parle et voici ma vengeance qui commence.

» En ce moment même, du point culminant où il était, le barde Bleid vit, dans la direction marquée par la prophétesse, un tourbillon de flammes s’élever vers le ciel.

— » Horreur ! s’écria-t-il en s’écartant d’elle avec effroi. Non, tu n’es point l’envoyée d’Esus : sur ton esprit le génie du mal a soufflé !…

— » Je suis la branche de l’églantier où le séducteur ne laissa que des épines pour sa vieillesse », conclut Elmir.

» Puis elle disparut en disant : « Barde, je garde ton serment. »

» Une longue clameur de détresse avait retenti.
Le .brenn Torcinoë s’arrache au repos, jette à ses solduriers son cri de guerre et court, tout armé, au lieu des délibérations publiques.

» C’était dans une éclairciede la forêt voisine, à courte distance de la bourgade habitée par le brenn et ses tenants, et sous la ramure d’un chêne antique, au pied duquel se dressait Pautel des sacrifices.

» Une foule nombreuse, composée d’hommes, de femmes et d’enfants, s’y était déjà rassemblée et elle écoutait, anxieuse, les prédictions sinistres d’Elmir.

— » Malheur ! clamait la prophétesse, malheur sur vous tous !… Un génie irrité apporte la dévastation!

» Et, montée sur le premier degré de l’autel, se drapant dans ses oripeaux multicolores, les uns pailletés d’argent et les autres marqués de lignes et de signes cabalistiques, les cheveux au vent, une étoile d’or au front, faisant face à la foule, elle soulignait, par des gestes tragiques, les progrès d’un incendie allumé dans la forêt.

» Torcinoë s’approcha d’elle, et, dans une attitude suppliante, il implora son aide.

— » Prêtresse, dit-il, tu es en communion avec les êtres invisibles ; use en notre faveur de ta puissance, conjure le fléau, coupe le feul…

— » Il faut pour cela, répond Elmir, que tous ici présents, vous acceptiez Parrêt édicté contre l’un d’entre vous, par le génie irrité.

— » Cet arrêt, quel qu’il soit, je l’accepte au nom de tous, s’écrie Torcinoë, et je jure de l’exécuter!…

» Un murmure approbateur confirme dans la foule le serment de son chef. Elmir gravit les quatre degrés qui la séparent du dolmen sacré, et, de là, mise en pleine lumière par le rayonnement de l’incendie, levant les mains au ciel, elle laisse tomber, lentement, ces paroles que tous les assistants recueillent avec avidité:

— » Malédiction sur toi! Torcinoë; je porte condamnation contre ta maison!… Souviens-toi d’Isa, la soeur de l’eubage Drataë : C’est elle qui, devenue la compagne des Korigans, commande au fléau dévastateur… »

« D’abord, sous le coup de la révélation, le brenn demeure interdit: il revoit, en souvenir, toute l’indignité de sa conduite passée et le remords envahit son âme.

— » Malédiction sur toi! Torcinoë, répète Elmir d’une voix incisive et dominant les susurrations de la foule ; pour apaiser Isa, il faut du sang !

— » Je le reconnais, murmure Torcinoë, qui fait effort sur lui-même, se dégage de ceux qui l’interrogent, et gravit, à son tour, les degrés de l’autel; j’ai été coupable ! Que la vie se retire de moi, je ne pourrais plus la supporter sans honte. — Prêtresse, apaise Isa; frappe sans miséricorde !…

» Et, se découvrant la poitrine, il s’offre au poignard dont la prêtresse est toujours armée pour les sacrifices… .

» Elmir le repousse du geste.

— » La satisfaction que tu offres, dit-elle, n’est point suffisante. La vieillesse a blanchi ta tête et ridé ton visage. Il ne te reste plus, que peu de jours à vivre, tandis qu’Isa était jeune et belle, lorsque ton parjure la poussa dans le fleuve des Ambianés.
-— » Que faire, alors? demande Torcinoë.

— » Isa, reprend Elmir, était belle comme, en sa floraison, la branche de Péglantier; Xinella, la fille unique et bien-aimée, est belle comme l’était Isa: voilà la victime qu’il faut.

— » Oh! jamais ! jamais! s’écrie Torcinoë, dans un accès de désespoir indicible. Périsse plutôt tout le clan qui m’élut pour chef! et que je sois maudit jusqu’en ma troisième existence!…

» Après ce refus véhément, il s’appuie accablé sur la pierre de l’autel et la foule, que domine de plus en plus la terreur, s’emporte en imprécations contre lui.

— » Voyez ! crie-ton, nous l’avions choisi comme le plus digne, et son infamie sera cause de notre ruine!

— » Qu’on aille quérir de force Xinella, concluent les plus exaltés; qu’on l’amène ici, et qu’il soit fait d’elle selon que l’a prophétesse l’ordonnerai…

» Déjà un groupe se forme pour courir en la demeure de Torcinoë prendre sa fille, quand celle-ci survient en compagnie du barde Bleid.

» Après le récit qu’Elmir lui avait fait des motifs qui déterminaient et guidaient sa vengeance, le barde avait pressenti quelque drame épouvantable dont Torcinoë ne serait pas l’unique victime; mais tenu par son serment de ne rien révéler, en dehors même de toute solidarité sacerdotale, il se trouvait dans l’impossibilité absolue d’entreprendre quoi que ce fût d’utile pour empêcher l’oeuvre haineuse de la prêtresse.

» C’est pourquoi, de prime abord, au lieu de se rendre à l’assemblée convoquée d’urgence par le brenn, il avait résolu de s’enfermer chez soi et d’attendre jusqu’au lendemain matin pour agir selon que les circonstances le voudraient… Son inquiétude devint bientôt si grande, qu’il n’y put tenir et qu’il prit le chemin de la forêt.

» Il y rencontra Xinella que la même incertitude dominait et qui, malgré la recommandation instante de son père, allait le retrouver et partager ses périls.

» Des cris de joie les accueillent. L’imminence du danger enlève toute commisération à la foule, et c’est avec des paroles brutales qu’on annonce à la jeune vierge le sort qui l’attend.

— » Que ma mort, répond-elle simplement et héroïquement, devienne la sauvegarde de tous. Et, résignée, elle se laisse entraîner sans aucune résistance vers l’autel.

» Alors le barde Bleid s’interpose pour la sauver. Mais Elmir, parlant toujours au nom d’Isa, la compagne des noirs Korigans qui activent le feu, demeure inflexible et la. foule, impatiente du sacrifice, désavoue le barde.

» Cependant Torcinoë avait repris conscience de ce qui se passe; il reconnaît sa fille au pied de l’autel, et, mettant l’épée à la main, il bondit auprès d’elle, prêt à la défendre, lui seul contre tous.

» Puis, se retournant en face de l’Elmir : « Ma fille, lui crie-t-il, ne mourra pas. Sa vie est sacrée : je la voue à la déesse Hertha !»

» La prêtresse à ces mots tressaille d’une joie secrète : sa vengeance est plus complète qu’elle ne l’avait espéré.

» Ne craignez plus le fléau, dit-elle à la foule ; la haine d’Isa est satisfaite : la fille unique de son séducteur n’aura point d’amour. »

» Malheur sur le guerrier qui, par fait, geste ou parole, tend à surprendre le coeur d’une des servantes d’Herlha la sombre déesse l la gloire se retirera de lui, il frémira à la vue du danger et l’embonpoint le gagnera. »

» Telle était l’une des croyances en vogue par toutes les contrées de la Gaëlique et il en résultait comme une main mise, immédiate et constante, sur toutes les facultés affectives de la personne vouée au culte particulier et mélancolique d’Herlha.,…

» Chaque jour, à l’heure des doux parlers, Xinella erra solitaire à l’ombre maléficiante de l’if, et le front de Torcinoë se courba, comme l’avait voulu la prophétesse Elmir, sous le poids d’une douleur immense. »

A notre jugé, là légende qui précède, présente un tableau fidèle des moeurs gauloises au point de vue du supernaturel et il suffit d’une analyse très succincte des faits qu’elle rapporte, pour justifier cette assertion qu’avec les Druides on se trouve en pleine exploitation de l’Occulte.

Elmir, il est vrai, nous est présentée comme une affranchie de la tutelle sacerdotale; elle exerce par elle-même, et » pour elle-même, la puissance fatidique; mais, dans sa confession au barde, elle montre que cette puissance est égale à celle que donne aux Druides, vis-à-vis du populaire, l’agrégat des sciences naturelles et hiératiques, autrement dit « la Magie » et elle apprend qu’elle l’a conquise, au prix de souffrances inouïes, à l’école d’autres devineresses, par la pratique des formules mystérieuses et l’étude des nombres.

Or, selon les doctes en kabbale, ce fut là, de tout temps, la vraie méthode à suivre pour ceux qui voulaient s’élever dans l’art de contraindre le sort.

Dans les collèges druidiques, on mettait les adeptes de l’Occulte aux prises avec toutes sortes de difficultés morales et physiques. Il en résultait des caractères solidement trempés pour la lutte et la domination; aussi l’autorité sacerdotale prima longtemps en Gaule l’autorité civile et, alors môme que les « hommes du chêne » furent traqués jusqu’au fond des forêts par les conquérants romains, alors que la nation vaincue se fut policée, instruite au contact des vainqueurs, ils n’en conservèrent pas moins tout leur prestige primitif.

Il y eut plus. La persécution, dont autrefois ils avaient usé eux-mêmes, en leur qualité d’hiérophantes, à rencontre des indépendantes du voyantisme, des prêtresses ou prophétesses errantes, quand elle fut dirigée contre eux par les délégués césariëhs, les grandit à la taille de ces révoltées; en même temps qu’ils demeurèrent les représentants insoumis de la nationalité gauloise, les continuateurs de ses traditions religieuses et politiques ; en même temps qu’ils restèrent debout, comme les derniers témoins de la patrie abattue, ils conquirent la vogue du mystère ; ils devinrent « les enchanteurs ».

Ils demeurèrent magiciens et c’est comme tels que le catholicisme les proscrivit, jusqu’aux environs du huitième siècle, époque où le grand art de la Magie descendit des hauteurs de la philosophie, où il avait pris naissance, pour se fondre et s’avilir en une multiplicité de pratiques louches, ou naïves, qui caractérisent la sorcellerie au moyen âge, et qui sont à l’Occulte, tel que le professaient That-Hermès, Apollonius de Tyanes, Julien l’Apostat etc, ce que l’ombre est à la réalité, et le préjugé à la science.

Néanmoins, malgré cette décadence, et peut-être à cause de cette décadence même, l’Occulte subjugua plus que jamais les masses et il devint le refuge de toutes les misères féodales.

Source : Histoire philosophique et politique de l’occulte : magie, sorcellerie, spiritisme / par Félix Fabart ; avec une préface de Camille Flammarion (Bibliothèque nationale de France)